Une visite chez Manfred Stein

Cela fait déjà un moment que je pense rendre visite à Manfred Stein, le patron de Quad Musikwiedergabe GmbH. Sa petite société est installée à une heure de route de chez moi, dans l’Eifel, une très jolie région d’origine volcanique située au sud-ouest de Cologne, non loin de la frontière avec la Belgique. C’est cette même région qui a été durement touchée par les récentes inondations.

J’ai donc pris contact avec Manfred, puis posé un jour de congé pour lui rendre visite mercredi dernier. J’ai invité Christian, un ami audiophile Norvégien, à se joindre à moi. Le temps était superbe ce mercredi et le trajet fut déjà un moment bien agréable, qui nous a permis de bavarder tout en profitant des paysages splendides.

Arrivée à Gering

Gering est un tout petit village de 400 habitants, et l’atelier / show room de Manfred est situé juste à l’entrée.

Dès le hall d’accueil, on est saisi par l’ambiance. Les étagères remplies de matériels Quad de toutes les époques opèrent une sorte de magie, j’ai l’impression de retrouver ma jeunesse, et ma fascination pour ces objets de rêve.

Manfred est un hôte extrêmement accueillant. Il nous propose de commencer par une visite des lieux. L’entreprise est installée dans une grande maison, dont l’essentiel du rez de chaussée est occupé par les ateliers et les espaces de stockage, ainsi qu’une première salle d’écoute, alors que l’étage est réservé à deux autres salles d’écoute dont nous parlerons plus tard.

La visite

Sur les murs de couloirs, on voit partout des copies d’article de presse qui nous permettent de reconstituer l’histoire de la société. On y voit souvent Manfred en compagnie de Peter Walker, le fondateur de la société anglaise qui, lorsqu’elle a cessé son activité, a cédé la marque à une société chinoise, mais a vendu les outillages de production utilisés en Angleterre à Manfred Stein.

En période de congés, l’effectif est très réduit

La société allemande occupe seulement une poignée de personnes, et partage son temps pour moitié dans la réparation de panneaux ou électroniques existants, l’autre moitié étant consacré à la production de matériels neufs, tous les composants étant disponibles.

Endommagement typique
Les stocks de composants et matière première
Le rouleau de mylar, coeur des panneaux Quad

La fabrication ou réparation d’un panneau Quad ne peut pas être robotisée. La tension des feuilles de Mylar fait appel à un savoir faire difficile à documenter dans une procédure. 

Manfred nous explique la technique de pose du mylar

La machine qui sert à poser les feuilles et le four associés font partie de l’héritage de Quad UK. Le cadre est glissé dans le four pendant 15 secondes à une température de 170°. 

Nous terminons notre tour du rez de chaussée par une pause assez courte dans la première salle d’écoute. A noter que nous n’écouterons que du vinyle, d’abord sur des platines Thorens, puis sur des Garrard 301 et 401. Pour les cellules, Ortofon (Concorde et SPU) mais aussi EMT. Enfin, pour les bras, SME et EMT. Cette première écoute (des panneaux ESL-63) fut assez courte, mais nous a déjà permis de nous faire une idée sur la personnalité de ces reproducteurs. Un son très neutre, jamais projeté, équilibré.

ESL 57 et 63 prêt pour l’écoute
Manfred Stein nous décrit la configuration que nous allons écouter
Platine Thorens, bras EMT et cellule de la même marque
Les vénérables Quad 2, toujours construits par Manfred

Première salle d’écoute

L’étage de la maison est aménagé sous les combles, et les salles ne sont pas séparées par des murs, mais par des étagères remplies de livres et toiles tendues. Le plafond est haut et le volume important.

Les haut-parleurs présentés sont imposants. Ce sont des doubles ESL-63. Entre les deux panneaux, on voit un subwoofer de fabrication française. Un grand panneau, qui n’est pas électrostatique, mais bien électrodynamique. Nous avons écouté avec et sans ce sub qui, à mon avis, n’est vraiment pas indispensable.

Côté électronique, les panneaux sont alimentés par un ensemble Einstein (fabriqué à Bochum, à une heure de route de Cologne). La platine est une Garrard 401, équipée d’une cellule et bras EMT.

La bande passante reproduite est très étendue et on reconnait les qualités des panneaux électrostatiques, absence de résonnance de caisse, finesse du medium et de l’aigu, une scène sonore crédible. Malgré la faible sensibilité, le niveau sonore est suffisant pour apprécier les grandes masses orchestrales. Nous avons écouté du classique et du jazz, les deux styles de musique passant très bien sur ce système.

Deuxième salle d’écoute

Dans la deuxième salle, changement de décor. Nous sommes quasiment dans un musée des années 50… Même les petits fauteuils en osier sont raccords ! Au passage, on admire un petit meuble HIFI dans lequel on trouve des trésors, depuis les superbes électroniques Quad jusqu’à la cellule Decca montée sur la Garrard. On reconnaitra aussi les double ESL 57 utilisés un temps par Mark Levinson (Levinson HQD system).

Pour l’écoute, une Garrard, toujours, avec un SME 3012 et une SPU associée à des électroniques McIntosh (Amplis 275) et des panneaux ESL 57.

A noter que Manfred fabrique autant de 57 que de 63, montrant que malgré la différence de performance, de nombreux clients sont attachés au style (esthétique et sonore) de 57.

Ici, nous avons écouté à nouveau jazz et classique, Art Pepper (un disque que je connais bien) et Les Noces de Figaro de Mozart, par Colin Davis.

J’ai écouté des panneaux ESL 55 deux fois. La première fois en 1980, alors que j’habitais au Mans. Le magasin HIFI Maine m’avait prêté une paire que j’ai écoutée, sans grand plaisir, avec un amplificateur Nytech. Le deuxième fois, en 2010, avec un peu plus d’intérêt au cours de l’ETF (European Triode Festival).

Cette fois ci, la configuration est idéale. L’écoute est très différente de ce que nous venons d’entendre avec les double ESL 63, moins spectaculaire, moins de niveau, plus intime. Nous en parlons avec Manfred qui exprime bien mon ressenti : Dans le premier salon, on ne parle pas pendant l‘écoute, on cherche à caractériser le système, à mesurer ses performances.

Dans le deuxième salon, on devise tranquillement en écoutant la musique, on discute de musiciens, de l’interprétation sans avoir besoin de réduire le volume.

Enfin, et peut-être parce que je suis né en 1957, je me sens bien dans cette salle, au milieu de ce matériel d’une autre époque. Je comprends d’ailleurs rapidement que ces panneaux Quad 57 sont les préférés de Manfred. Pour les amplifier, il recommande l’utilisation de l’amplificateur 303, dont il assure la rénovation pour un prix très correct. 

Epilogue

L’écoute de systèmes tels que celui de Bruno, celui de Jean Hiraga ou celui dont je dispose à la maison est très différente de ce que nous avons écouté chez Manfred . Il ne me viendrait pourtant pas à l’idée d’essayer d’établir une hiérarchie et je serais pareillement heureux de pouvoir écouter ma musique avec chacun d’eux. Dans chacun des cas, la solution représente un compromis.

Mais une fois de plus, l’expérience m’a montré que l’ensemble enceintes / pièce d’écoute est bien le facteur qui est de loin le plus discriminant. 

En conclusion, nous avons passé une matinée fantastique, l’endroit d’abord, en pleine nature mais surtout la personnalité accueillante et chaleureuse, passionnée de Manfred Stein.

Sur le chemin du retour, j’ai évoqué avec Christian le plaisir que je ressens grâce à ces rencontres, tellement plus gratifiantes que les échanges sur les réseaux sociaux. 

Merci Manfred !

Liens

Mode d’emploi Quad ESL 63

Mode d’emploi ESL 57

Brochure ESL 57

Revue de 1972 ESL 57