Pourquoi ?

Je m’intéresse au filtre Duelund Synkron depuis que Jean-Marc Plantefève l’a présenté en septembre 2016 sur le forum Melaudia.

Bien que très satisfait par les filtres que j’utilisais jusqu’à présent, énième mouture de nombreuses versions, allant des plus simples aux plus sophistiquées, l’idée d’un challenge amical avec Jean-Marc a tranquillement fait son chemin. L’idée de concevoir un filtre Synkron, en adoptant son protocole de mesure était une occasion d’élargir mon horizon tout en passant un bon moment avec quelqu’un que j’apprécie beaucoup.

Jean-Marc a tout de suite accepté l’invitation, que j’ai étendue à Gilles Nicot, notre spécialiste Onken et surtout Kaneda, qui a aussi sauté sur l’occasion pour approfondir ses connaissances en mesures, et rencontrer Jean-Marc, qu’il ne connaissait que par échanges épistolaires sur le forum Melaudia.

J’étais évidemment intéressé par l’expérience de Gilles pour juger du résultat que nous allions obtenir, et l’idée de passer un peu de temps avec Gilles et sa compagne me faisait très plaisir, car nous avons beaucoup de goûts communs (Bach, Schubert…).

Nos épouses étaient présentes, mais n’ont pas participé aux séances de mesures… Nous en avons aussi profité pour passer une soirée en brasserie à Cologne et faire un petit tour dans les environs.

Arrivée dispersée

Gilles est arrivé le premier, le jeudi soir (week-end du 14 juillet), et Jean-Marc nous a rejoint le vendredi midi. La séance de travail n’a donc commencé que le vendredi après-midi. Malgré tout, le vendredi matin nous a permis d’écouter le tout nouveau Kaneda 257 que Gilles avait apporté avec lui.

C’est un amplificateur compact, avec une alimentation séparée, IVC mais fonctionnant aussi en mode non IVC. Nous l’avons écouté connecté à mon préamplificateur 218 sur le système tel que décrit ici, avec les anciens filtres.

Le petit Kaneda devant les gros blocs 211

On reconnaît bien le style Kaneda, très fin, dynamique, n’ayant aucune difficulté à traduire avec aisance les passages les plus complexes sur de grandes formations symphoniques. Nous ne l’avons pas comparé avec mon Kaneda 224, beaucoup plus puissant, mais les 15 watts du 257 n’ont jamais montré la moindre difficulté à alimenter mes enceintes (105 db). Bref, encore un numéro qui me semble bien né ! Gilles nous fera peut-être une présentation dans un article dédié.

La méthode

Jean Marc a commencé par nous expliquer sa méthode de travail.

Les outils utilisés sont les logiciels et matériels Dayton Audio, distribué en Europe par Intertechnik. Les simulations sont effectuées avec Xsim. A noter que le développeur de Xsim et du logiciel Omnimic de Dayton est Bill Waslo. L’ensemble est donc très cohérent.

La séquence des opérations est représentée par l’ordre des chapitres de l’article. La première étape consiste à mesurer l’impédance des haut-parleurs (drivers + pavillons).

Mesure de l’impédance des haut-parleurs

Le système DATS de Dayton permet de faire beaucoup plus que mesurer l’impédance, on peut s’en servir (ce qu’on a fait) pour mesurer la valeur des selfs, résistances et condensateurs, mesurer et calculer les paramètres TS des haut-parleurs…

La mesure de l’impédance se fait grâce à un petit boîtier relié d’un côté au port USB d’un PC, et de l’autre, deux pinces crocodiles reliées au haut-parleur à mesurer. Le kit comprend une petite résistance pour réaliser la calibration. La mesure se fait sur un signal sweep généré par le PC.

L’utilisation est d’une simplicité biblique, si on compare avec REW ou LIMP.

On note sur la mesure du Faital HF10AK ci-dessous que l’impédance mesurée est bien inférieure aux 16 Ohms annoncés.

La génération des trois courbes d’impédance a donc été extrêmement rapide. Nous les avons exportées en format ZMA dans un dossier que nous avons utilisé pour stocker toutes nos mesures.

Mesure de la réponse en fréquence

La mesure de la réponse en fréquence a été effectuée avec le micro du système Omnimic. Ce micro est calibré et le numéro indiqué sur le micro doit être renseigné dans les paramètres du logiciel.

Le signal de mesure est généré depuis un CD. Ce signal est une série de sweep. Une approche complètement différente de Arta ou REW. Si on le souhaite, on peut déplacer le micro pendant la mesure. Un peu sceptique en voyant le CD, j’ai été complètement séduit par ce protocole…

Bien sûr, il faut aussi un pied pour le micro, mais surtout, il faut choisir un emplacement pour les mesures !

Avant la rencontre, j’avais imaginé sortir une enceinte dehors, afin de nous affranchir des réflexions de la pièce. Jean Marc a estimé que ce n’était pas nécessaire, et nous allons voir pourquoi…

L’alignement des centres émissifs était déjà en place grâce à un travail précédent, mené en réponse impulsionnelle sous REW en loopback matériel.

Chaque haut-parleur est mesuré séparément, et le micro positionné à environ 120 cm de l’enceinte, sur un axe reliant le haut-parleur au point d’écoute. Le micro est donc placé à trois hauteurs différentes (lignes orange, verte et rouge).

Pour les mesures, le micro doit être toujours à la même distance du point d’écoute (et donc des membranes elles mêmes en arc autour du point d’écoute). Pour nous simplifier la vie, nous avons utilisé une ficelle, fixée sur la canapé, et coupée à la longueur voulue, afin de mémoriser et retrouver facilement la position du micro. L’intérêt est d’intégrer la directivité « d’arrosage ».

Gilles, préposé à la ficelle !

Nous avons répété les mesures plusieurs fois, et les résultats varient très peu. On peut s’affranchir d’une partie des réflexions de la pièce en fenêtrant, comme avec Arta ou REW, mais Jean-Marc a été agréablement étonné de voir que la pièce était très neutre, ce qui nous a facilité la vie.

Voici donc les mesures de réponse en fréquence brutes (1/24 octave) de nos trois haut-parleurs :

Aigu Faital HF10AK et pavillon MK-810
Medium Yamaha 6681B et pavillon Altec 1505B
Grave Yamaha 3880 (2) et enceinte S6215HT

On voit que les deux haut parleurs de 38 cm montent très bien, sans accident, et descendent proprement jusqu’à 60 Hz, fréquence en dessous de laquelle le relais est pris par les deux subs.

Génération des courbes cibles Duelund Synkron

Mon filtre actuel aiguille le grave et le médium vers 650 Hz et le medium avec l’aigu vers 3400 Hz. Je me suis exprimé ailleurs sur mon opinion concernant les tweeters et mon choix d’une compression 1 pouce (La Faital, excellente) pour la reproduction de l’aigu.

Le choix des courbes cibles Synkron impose un calage géométrique des sources émissives. La conception d’un aiguillage pour des enceintes du type Onken 360, ou TAD TSM imposerait un choix de cibles différentes, afin de compenser le décalage géométrique.

La génération des courbes cibles s’effectue avec l’aide d’un script (langage Python) disponible sur le site de Jean-Marc. Il faut installer Python sur le PC au préalable (liens fourni dans la section « liens »).

Une fois installé :

  • Copier le script depuis le site de Jean-Marc,
  • Lancer « Idle » l’application shell installée avec Python,
  • Coller le script dans la fenêtre de Idle,
  • Confirmer le nom des 3 fichiers cibles,
  • Ajuster les paramètres fc, A et Offset

Fc : correspond à l’axe charnière entre l’aigu et le grave, là où le medium sera à son niveau maximal.

a : correspond plus ou moins à l’étendue de la zone medium, et donc définit la pente de la coupure. Plus A est faible et plus on ressert la zone médium, avec des pentes plus importantes.

offset : permet de caler le niveau des courbes cibles par rapport aux niveaux mesurés. Ce niveau ne peut pas être supérieur au niveau du haut-parleur ayant le moins de sensibilité.

Un extrait du script en Python:

Où on trouve les paramètres « fc », « a » et « offset », ainsi que les noms des fichiers qui seront générés avec la commande « run ».

Au préalable, il faut créer le système dans Xsim, avec 3 haut-parleurs représentant nos 3 voies mesurées, et 3 haut-parleurs fictifs qui représenteront nos cibles.

La première illustration montre la courbe cible pour le medium, par rapport à la réponse du medium (a=4, fc=1000).

Les facteurs a et FC doivent être corrigés…

On voit qu’il y a un problème, car la cible déborde à gauche, en dehors de la zone qui peut être couverte par le medium (zone hachurée en rouge).

La photo suivante montre la cible qui a été retenue (a=2.8, fc=1400).

Cette fois ci, nous sommes dans l’épure !

Voici donc l’illustration avec les trois courbes de réponses, et les trois cibles.

On voit que les trois cibles sont bien à l’intérieur des enveloppes définies par les réponses. L’offset, 80 db, est calé sur l’aigu.

C’est Xsim qui va nous permettre, grâce à la création du filtre passif, d’essayer d’approcher les réponses de leur cible.

Simulation avec Xsim

Xsim est un outil merveilleux pour concevoir des filtres passifs avec cibles acoustiques en collimateurs.

L’illustration montre le schéma du filtre terminé, S4, S5 et S6 permettent de visualiser les courbes cibles.

On commence avec un filtre simple et des valeurs approximatives. A priori, d’ordre 2 pour le grave et l’aigu, et un premier ordre pour le medium.

Cet exercice permet de démontrer qu’il peut y avoir une différence avec le filtrage dit « électrique » (ici vu comme un 6 db) et les pentes de coupures que l’on peu obtenir. Exemple ci-dessous avec le medium, filtré avec une self et un condensateur !

Autre leçon. Jean-Marc m’a fait acheter des selfs Mundorf type L50 (Aigu et Medium) et L150 (grave). Quand j’ai ouvert le paquet et que j’ai vu la taille (et le prix) minuscule des selfs !

L’exercice a démontré qu’il ne sert à rien de dépenser une fortune pour réduire la résistance des selfs quand cela n’est pas nécessaire. Ici la résistance de L1 participe à l’atténuation de la voie médium et la résistance de L3 amortit le passe-haut de la voie aigue . Il suffit d’introduire ces données (ESR) dans le calcul du filtre dans Xsim, comme on le voit ci-dessous.

Menu obtenu en cliquant à droite au dessus du composant

On peut, en ajoutant des composants, s’approcher très près de la valeur des cibles. Nous n’avons pas choisi cette option, en privilégiant l’objectif de simplicité et de réduction des composants. Comme on peut le voir sur le schéma, le filtre que nous avons retenu est extrêmement simple.

Chaque haut-parleur mesuré séparément est un système à phase minimale. Xsim permet d’extraire la courbe de phase par dérivation de la réponse SPL et ainsi s’écarter de potentielles erreurs d’interprétations à la phase mesurée.

L’illustration ci-dessous montre le menu associé à S2 (le medium) où on demande d’inverser la polarité du haut-parleur et de dériver la phase.

Menu obtenu en cliquant à droite au dessus du symbole de haut-parleur

Cette étape est indispensable avant de pouvoir afficher une courbe globale cohérente. Dans Xsim, la réponse globale s’appelle « system ».

Ci-dessous, une image de la réponse globale. Les raccordements se situent vers 600 et 3000 Hz, donc très similaires aux anciens filtres.

Fabrication des filtres prototypes et mesure de la réponse de chaque haut-parleur filtré

Une fois satisfait avec la simulation, il faut fabriquer les filtres prototypes que l’on pourra vérifier en câblage en comparant l’impédance sous Dats de l’enceinte ainsi câblée, à l’impédance système simulée sous Xsim.

Et le résultat est assez bluffant…

Comme vous l’avez sans doute noté, nous ne mesurons pas les trois hauts parleurs ensemble. Il faudra faire confiance à la simulation et vérifier à l’écoute. On peut aussi confirmer avec une mesure au pont d’écoute.

Ecoute

Jean-Marc a tenu à ce que nous fassions une séance d’écoute, avant de mesurer depuis le point d’écoute. J’ai tout de suite aimé le résultat. La scène sonore a reculé un peu, et la localisation des pupitres sur les masses orchestrales complexes est plus précise. Les basses sont plus puissantes et encore plus fermes.

Gilles a trouvé que les aigus semblaient plus présents qu’avec les anciens filtres. Nous avons réduit les aigus de 2db, mais nous nous sommes finalement mis d’accord pour revenir à la configuration initiale.

José et Patrick C. (Melaudia) sont passés il y a quelques semaines. Le système leur a je crois beaucoup plus. Ce nouveau filtre permet de reculer encore les limites.

Enfin, nous avons commencé l’étude et les mesures vendredi après midi et nous écoutions samedi matin… Cette méthode est incroyablement efficace et rapide.

Mesure au point d’écoute

Finalement, après l’écoute, la mesure au point d’écoute de chaque enceinte, avec son sub, a confirmé l’équilibre général. Une fois de plus, je crois que Jean-Marc a été étonné par le fonctionnement de l’ensemble pièce / enceintes.

Ci-dessous, la réponse des deux enceintes et la réponse des deux subs qu’il faut considérer moyennée. Les courbes en 1/24ème tiennent dans environ +- 5 db autour d’une droite légèrement descendante.

Echelle de 5db

Les filtres terminés

Avant de conclure, la photo d’un filtre terminé, qui montre bien la simplicité qui correspond à ma philosophie, avec un petit clin d’œil / hommage à Jean Marc (qui m’a d’ailleurs recommandé d’excellentes douilles Staubli).

En guise de conclusion…

Jean-Marc a remporté son challenge, j’ai adopté ses filtres !

Nous avons surtout passé un moment formidable, beaucoup de compétence, de gentillesse, de bonne humeur et je crois que nos épouses se sont bien entendues aussi.

L’objet de cet article n’était pas d’en faire un tutoriel détaillé sur chacun des outils présentés, mais de faire une présentation globale d’une méthode bougrement efficace.

Le coût du système complet (410 Euros) n’est pas négligeable. Mais si on considère qu’on a un micro calibré, une carte son et un système pour mesurer les composants, un décibel mètre calibré et une facilité de mise en oeuvre unique, je crois que le temps gagné pour la conception des filtres pour quelqu’un qui voudrait se lancer dans cette aventure justifie largement l’investissement, si on considère le prix des haut-parleurs et du système dans son ensemble. .

Si des lecteurs sont intéressés, nous pourrons peut-être développer des tutoriels détaillés sur Xsim, DATS et Omnimic.

Un point reste ouvert concernant la mesure du calage temporel. Jean-Marc travaille sur une solution intéressante et innovante. J’espère que nous pourrons la présenter ici.

Gilles, qui utilise un système quadri amplifié à 4 voies, a déjà demandé à Jean-Marc si il pouvait concevoir un script pour un Synkron 4 voies 😊.

Liens