Pourquoi a t-on besoin de la mesure ?
En préambule, je précise que cet article se concentre sur l’utilisation de la mesure pour la mise au point des enceintes acoustiques.
La conception d’un système, audio ou autre, est réalisé sur la base de spécifications fonctionnelles et réglementaires, qui sont des contraintes imposées aux ingénieurs en charge du développement de ces systèmes.
Pendant la phase de développement, et à la fin de celle ci, des mesures doivent être réalisées, dans des conditions rigoureuses, pour établir que l’appareil répond bien aux exigences fonctionnelles, et réglementaires.
Les performances qui sont déclarées à cette étape sont la référence à partir de laquelle de nouvelles versions du système pourront être élaborées.
L’audiophile qui se lance dans l’aventure du « DIY » (Do It Yourself) doit obligatoirement s’équiper pour pouvoir effectuer des mesures simples. Le multimètre est probablement la première acquisition indispensable !
Ce multimètre sera très utile pour concevoir l’aiguillage des enceintes, car il permet de mesurer les condensateurs et les selfs, dont on pourra ajuster la valeur en les déroulant.
Un micro, une carte son et un logiciel de mesure seront également nécessaires. Différentes options sont décrites sur ce site dans la catégorie des « tutoriels »
Le développement rapide d’outils informatiques bon marché permet d’associer à ces outils de mesures des logiciels de simulation qui permettront d’éviter les erreurs, et de faire des économies de temps et d’argent lors de la mise au point d’enceintes acoustiques. On pourra citer Xsim (capture d’écran ci-dessous) ou encore VituixCad.
Cette introduction me permet donc de confirmer l’avantage de pouvoir utiliser des outils de mesure et de simulation, si on souhaite se lancer dans la conception d’enceintes acoustiques.
Les challenges : mesure des haut-parleurs, de l’enceinte, de la pièce
La salle de séjour n’est pas un laboratoire, encore moins une chambre sourde. Les équipements accessibles aux amateurs ne sont pas non plus des instruments de laboratoire calibrés.
La mesure nous apporte beaucoup, mais elle peut nous abuser. Voir soudainement se dessiner une courbe à l’écran, la première fois, est assez fascinant, et puisque c’est là, mesuré avec un micro, on pourrait presque croire que c’est la réalité ! Mais est-ce la vérité ?
C’est effectivement une réalité, qui traduit en partie les caractéristiques de l’enceinte, mais aussi du micro, de sa position par rapport aux haut-parleurs, de la réponse de la pièce. Passé les premiers instant de fascination, on se surprend à jouer avec la position du micro, un peu plus haut, un peu plus bas, un peu plus loin, pour « dessiner » la courbe dont on rêve (phase ou fréquence) et la publier avec fierté sur les forums audio.
Mon approche de la mesure pour la mise au point des enceintes
Ceci est un avis parmi d’autre, chacun est bien sûr libre de penser et agir autrement.
Ma règle N° 1 : Ne pas confondre la mise au point des enceintes et leur intégration dans la pièce d’écoute.
- Commencer par caractériser les haut-parleurs en les mesurant individuellement pour pouvoir importer leur caractéristique dans un logiciel de simulation.
- Définir les courbes cibles pour l’aiguillage en mesurant les haut-parleurs dans l’enceinte à une distance qui minimisera les effets de la pièce. Cette distance varie en fonction du type et de la taille des enceintes. Une petite enceinte pourra être mesurée à 50 cm, mais une voix du théâtre demandera environ 120 cm, pour que le micro puisse capter le médium, l’aigu et le haut parleur de basse. Attention: cette mesure doit être la plus fidèle possible autour de la fréquence de raccordement des deux haut-parleurs objet de l’étude. On cherche, grâce à la simulation, puis au filtrage actif ou passif, à s’aligner sur les courbes cibles. Donc il ne faut pas s’alarmer si, se concentrant sur le raccordement de la voix médium, la réponse dans l’aigu ou dans le grave ne semblent pas satisfaisante.
- Si les courbes cibles sont respectées, les réponses en fréquence et en phase ne devrait pas s’éloigner de ce que prévoit la simulation.
- A ce stade, une fois les niveaux réglés, les haut-parleurs alignés, une réponse en phase correcte, il ne faut pas insister sur des écarts qui sont souvent dus à l’imprécision de la mesure. Il faut commencer à écouter!
Ma règle N° 2 : Ne pas abuser, voir ne pas utiliser les logiciels permettant de corriger l’acoustique de la pièce.
Je ne règle pas l’aiguillage de mes enceintes à partir de mesures faites au point d’écoute. Les variations de mesure, en fonction de la position du micro, sont absolument énormes. Certains recommandent de faire jusqu’à neuf mesures et de les moyenner. D’autres recommandent de faire une mesure sur bruit rose en balayant l’espace avec le micro… Pour quoi faire? J’ai même vu que certains essayait de reproduire une courbe ISO en mesurant depuis le point d’écoute… Cette courbe est le résultat naturel de l’influence de la pièce sur la réponse d’une enceinte qui elle, doit être la plus plate possible. Si la pièce est trop absorbante, ou trop réverbérante, il ne faut pas incriminer l’enceinte…
Régler le filtre d’une enceinte en fonction de la pièce et de son emplacement dans la pièce voudrait dire que, en supposant qu’on arrive à un résultat correct, on ne peut plus déplacer les enceintes, on ne peut plus déménager sans revoir le filtrage… C’est une grosse contrainte (qui rend aussi les enceintes invendables).
Arrivé à ce stade, qui n’est pas le moins passionnant, il faut abandonner la mesure et consacrer du temps à l’écoute, et faire preuve de patience…
Il faudra consacrer des heures (en prenant des notes), à écouter, déplacer les enceintes 5 cm par 5 cm, les approcher des murs, les éloigner, ajouter des meubles, les enlever, essayer des supports différents, bref, tout ce qui rend la vie d’un audiophile passionnante !
A ce stade, je dois évoquer le magnifique exemple qui nous a été montré par Jean Hiraga récemment, lors de la rencontre de Roncq. La veille, j’ai eu la chance de l’observer s’occuper à déplacer les enceintes, au début, de quelques mètres, puis à la fin, de quelques centimètres, jusqu’à ce qu’il soit satisfait du résultat obtenu. La pièce, une salle des fêtes carrelée, était loin de correspondre à la définition d’une pièce dédiée, mais le résultat qu’il a obtenu était sidérant.
En conclusion..
A moins d’avoir créé un système hors du commun comme celui de M. Roggero, dans une pièce dédiée, je pense que les enceintes doivent être mises au point indépendamment de la pièce dans laquelle elle seront utilisées initialement.
Il faut apprendre à utiliser la mesure à bon escient, mais avec modération, et il faut éduquer puis faire confiance à notre oreille, qui jusqu’à preuve du contraire, est beaucoup plus discriminante que les moyens de mesures actuels, qui bien que très précis, ne couvre qu’une petite partie de centaines de paramètres qu’il faudrait mesurer pour comprendre pourquoi, quand on écoute, on aime plus, on aime moins ce que l’on entend.
24 décembre 2018 at 17 h 39 min
Cher Dominique,
ta description d’une écoute « véridique » versus les aléas de la mesure est rassurante et vraie… »point trop n’en faut »…
Jean-Yves
24 décembre 2018 at 17 h 44 min
Bonjour Dominique,
Je n’ai pas encore l’expérience avec Xsim que j’ai bien hâte d’essayer quand je passerai en 4 voies.
Certes, « La salle de séjour n’est pas un laboratoire, encore moins une chambre sourde. » Par contre, c’est l’endroit où je/on écoute son système. Et comme je n’ai rien à vendre ni intention de déménager, je règles mes enceintes pile-poil pour la pièce. Pourquoi faire autrement si c’est pour un usage domestique et personnel? Mais naturellement, cela ne sera pas transférable et le travail sera à reprendre s’il y a un changement de pièce d’écoute. Nous sommes d’accord là-dessus.
Ensuite, « Certains recommandent de faire jusqu’à neuf mesures et de les moyenner. D’autres recommandent de faire une mesure sur bruit rose en balayant l’espace avec le micro… Pour quoi faire? J’ai même vu que certains essayait de reproduire une courbe ISO en mesurant depuis le point d’écoute… »
J’ai essayé la méthode de Bear du Forum Hifi concernant les 9 mesures moyennés au point d’écoute. D’ailleurs, pda0 a fait un très bon tutoriel à ce sujet:
http://www.forum-hifi.fr/thread-4876.html
Dans mes derniers travaux en trois voies, c’est ce que j’ai adopté pour importation dans rePhase et correction de phase et minimes corrections de réponse en fréquence via miniDSP OpenDRC-An. Pour moi, ce fut une démarche très gratifiante sur le rendu musical final. Le tout avec courbe cible B&K pour haute-fidélité en milieu domestique que j’apprécie beaucoup. Pourquoi s’en priver?
J’ai tâté aussi du bruit rose pour avoir une meilleure idée de réponse d’ensemble compression/pavillon multi-cellulaire. Dans mon cas, pour une même zone, ce n’était pas le jour et la nuit. Encore là, cette méthode de travail, de mémoire suggéré par PVRX sur Mélaudia, est très aidante.
Enfin, pour l’instant, je fais davantage confiance aux mesures. Je ne crois pas avoir les oreilles de Jean Hiraga. Là où il faut selon moi un jour avoir « une certaine mesure avec les mesures », c’est d’accepter que ce travailde peaufinage est terminé et qu’on peut apprécier sa musique au quotidien. Comme dirait la conteuse Québécoise Claudette L’Heureux: « Il faut savoir s’arrêter. » Sinon, ce peut devenir fort envahissant et l’arbre de la mesure peut finir par nous cacher la forêt de la musique.
Sur ce, joyeux Noël!
Sébastien
24 décembre 2018 at 18 h 09 min
Bon Noël Sébastien !
Deux approches diffėrentes ! Il y a des années que j’ai commencė une approche « lean » du problème, et banni les DSP, Rephase et autre convolution qui crėaient, à mon oreille, de la frustration.
Dommage que nous habitions trop loin pour comparer nos ėcoutes !
24 décembre 2018 at 19 h 27 min
Ah d’accord, je comprends mieux. Je me rappelle aussi du temps de tes essais de filtres quasi-optimaux de JMLC. Par chez nous, j’ai essayé du filtrage classique et du tout 6 dB/oct. Mais mes derniers essais de filtrage passif, aidé par Jimbee, mesurés via REW, corrigé via rePhase et en mémoire de l’OpenDRC-An, avec mise en phase physique des transducteurs, donnent les meilleurs résultats que j’ai jamais eus. Ça m’encourage à poursuivre en ce sens.
24 décembre 2018 at 23 h 15 min
Sébastien,
pouvons nous penser que tu commences à dompter une écoute qui te plait ?
de Bach à Gershwin en passant par les grands du chant et du jazz, il y a tant à écouter… que les « imperfections du rendu » soient à mettre sur le compte du matériel et/ou de sa mise en oeuvre et/ou du niveau de tes exigences, un filtrage performant à l’écoute avec tes HPs ne peut pas se résumer à des courbes de réponse, phase, etc…les traitements numériques peuvent être bénéfiques mais ne pourront jamais transformer une citrouille en carrosse !
Amitiés
Jean-Yves
25 décembre 2018 at 21 h 06 min
Bonjour à tous, et bonnes fêtes,
J’ai eu l’occasion d’utiliser les deux types de systèmes, avec et sans DSP, et je crois que ce qui compte, comme d’habitude, c’est la qualité de la mise au point.
En ce qui me concerne, je crois avoir obtenu de très bons résultats dans les deux cas, mais je reste bien incapable de dire lequel de ces deux principes pourrait nous amener le plus près d’une restitution parfaite, idéal sans doute impossible à atteindre.
Bien cordialement
Gilles